SE RAPPROCHER AVEC LA MUSIQUE BRETONNE

Depuis quelques temps, nous partons à la rencontre d’acteurices loc·ales·aux pour parler d’art, de culture ou de musique. Il y a un peu plus d’une semaine, nous avons rencontré un biniaouer et talabarder (entendez par-là d’un joueur de binioù et de bombarde) du pays lorientais et membre d’un bagad morbihannais.

Ensemble, nous avons évoqué pendant près d’une heure et demie, la musique bretonne et son avenir, les bagadoùs, les festoù-noz et le mouvement trad. Une discussion engagée, comme on l’aime et comme on l’a défend avec notre auto-média partisan.

Surnommé « Tcheutcher » par certain·es de ses ami·es, il incarne la nouvelle génération, déterminée à s’ouvrir au monde par la solidarité, la tolérance et la dignité. À ses côtés, on découvre ou redécouvre au fil de la discussion, sa passion qui le lie à la musique. S’il joue dans un bagad, orchestre musical cadré, cadencé au pas, inspiré des pipe bands écossais et culturellement « hiérarchisée, spectaculaire ou grandiose », Tcheutcher performe également dans les festoù-noz ou « fêtes de nuit ».

Modernisés aux milieux des années 1950 dans le Kreiz Breizh (Centre-Bretagne), sous l’impulsion de Loeiz Ropars, les festoù-noz connaissent un nouvel élan.

Le 26 mai 1954, Loeiz Ropars, organise un premier concours de kan ha diskan à Poullaouen avec l’idée de relancer les festoù-noz. Poullaouen, c’est aussi une commune, terre de lutte, ouvrière et populaire, où des laveuses se mettent en grève au cours de l’année 1767. La grève qui dure six semaines est la première hexagonale du monde ouvrier féminin. Elle se solde par une victoire.

Dans les années 1960, les festoù-noz deviennent festif, populaire, et prennent de l’ampleur. Ils se multiplient en Kreiz Breizh et commencent même à gagner l’ensemble de la Bretagne.

En 2024, si l’on se base sur les chiffres de Tamm-Kreiz, qui œuvre pour la promotion et la diffusion du monde du fest-noz, il y aurait eu au moins 1175 festoù-noz et bals trad en Bretagne.

Aujourd’hui, rajeunie par la nouvelle génération, les festoù-noz sont plus ouverts. Sensible sur les non-dits, sur la veille et la prévention des violences sexistes et sexuelles, elle soulève des thèmes importants. Mais estime que « le milieu est clairement en retard sur le sujet » comme le souligne la harpiste Nolwenn Bernard dans un article de Mediapart en août 2024.

Déconstruire la méritocratie, dégenrer la danse, vivre un amour libre et heureux, rappeler que la pratique hétéronormée est de moins en moins courante, sont portées par la nouvelle génération dans le kas-a-barh, l’hanter dro ou la ridée.

Brassés par des sous-textes que chacun·es peuvent interpréter d’une manière différente, les festoù-noz, lieux de rencontres, interpellent son public et apportent un vent de fraîcheur dans ses contenus.

Si les mœurs commencent à évoluer, Tcheutcher nous rappelle d’ailleurs que « la musique bretonne a besoin de se rapprocher » de nos luttes communes et de nos espoirs. On se souvient notamment du 17 août 2024, lors du Festival Interceltique de Lorient off, où il performe aux côtés de DJ Tonkar et de la dragqueen Monica Gole.

De la nécessité à converger ensemble, il faut tout de même rappeler que nos cultures minorisées sont mises en danger. En effet, Rachida Dati, ministre de la Culture, aux relents trumpistes, accentue les coupes budgétaires à tous les niveaux. Le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles) publiait, le 16 avril dernier, une étude plus que documentée sur le sujet.

Les chiffres sont clairs : 65,8 millions d’euros en moins de la part des régions pour la culture. En Bretagne, des centres culturels ferment, des coopératives culturelles mettent la clé sous la porte, et des championnats de musique sont menacés.

Et ce n’est pas le fameux « plan fanfare » qui donnera des avancées. Ainsi, en réduisant son budget à la culture, l’Etat français ouvre sa porte aux extrêmes droites. Sous couvert de sa théorie du « grand remplacement », elles s’en prennent, dans des torchons de désinformations régionaux aux réfugié·es ou à des groupes d’artistes engagés.

Ce discours nauséabond ne doit avoir aucune place, ni sur la place publique, ni dans les commentaires haineux qui pullulent sur les réseaux sociaux. Tcheutcher souligne « l’intérêt qu’on soit en capacité de répondre avec l’argumentaire » et non « en mon nom ». Car c’est bien cela le problème, les extrêmes droites non-locutrices se permettent d’agir à la place des premiers·ères concerné·es.

Car sous prétexte de motifs fallacieux et crasseux des extrêmes droites, c’est bien la diminution du nombre de locuteurices qui menacent.

Il ne reste plus que 107 000 personnes parlant breton soit 2,7 % de ses habitant·es. C’est deux fois moins que la dernière étude qui datait de 2018.

À cela, s’ajoute la gentrification des villes, car oui, les artistes sont précaires. La précarité est bien là, sous différentes formes, dans les grandes et villes moyennes.

Nombreux·ses sont celleux qui quittent les zones du littoral pour le Kreiz Breizh où le prix des loyers sont plus accessible. La baisse des budgets aditionnée à la  gentrification menacent nos cultures minorisées.

Pour autant, rien n’est perdu, car un jeune vivier d’artistes et de musicien·nes se mobilisent. De Fall Foen à Elouan Le Sauze, en passant par Kevin Le Pennec, harpiste queer, au duo de rappeurs de Plouz&Foen, nombreux·ses sont celleux à être ouvert·es, tolérant·es et dignes.

Il est donc important que « nos milieux fassent un pas vers l’autre » comme le conclut Tcheutcher.

Ce premier pas a été réalisé au cours de l’été 2024, lorsque deux tribunes circulent dans le milieu des musiques bretonnes : « Folk contre le fascisme » et « Ne vous abandonnez pas aux sirènes de l’extrême droite ». La première réaffirme un positionnement antifasciste et antiraciste quand « les traditions populaires se font écho les unes aux autres, d’où qu’elles prennent leurs sources » et la seconde appelle à se mobiliser dans les urnes face aux extrêmes droites. Cette année, il y a également une volonté de se mobiliser contre l’extrême droite entre le mouvement folk antifasciste et le mouvement trad fest-noz.

Des festoù-noz aux bals trad, les chants de luttes sont investis par les mouvements sociaux, comme un outil pour se rencontrer, lever des fonds et danser tous·tes ensemble. Au sein de ces scènes, il existe des initiatives contre le sexisme, comme avec Krismenn ou Fleuves, qui dénoncent la part sous-représentative d’artistes féminines dans les festoù-noz avec ce chiffre à l’appui : 70 % d’artistes masculins sur scène et 30 % restant sont, pour moitié musiciennes ou chanteuses répertoriées par Tamm-Kreiz.

Alors pour que la culture populaire vive, pour que la culture et la musique soient nos luttes, mobilisons-nous ensemble !