
À l’occasion de la fin de saison des cinq grands championnats européens de football, nous allons aborder un sujet détestable pour les un·es autant que fascinant pour les autres, celui du ballon rond. Mais aussi de sa lente dérive vers l’élitisme et le néolibéralisme orchestré par le patriarcat au cours de ses trois dernières décennies.
Depuis plus de 30 ans, le football moderne s’enfonce dans une spirale sinistre. Les tribunes s’aseptisent et la gentrification des billets devient monnaie courante. Les tarifs des diffuseurs TV explosent chaque saison et les milliardaires ou le système capito-industriel rachètent des clubs à tour de bras entraînant leur perte d’identité. Les compétitions deviennent gigantesques. Les États utilisent les supporteurices comme des cobayes pour restreindre nos libertés individuelles et collectives en développant des techniques de vidéo-surveillances ou en utilisant le « maintien de l’ordre ». Enfin, dernièrement, l’extrême droite infiltre les stades dans un silence assourdissant des gouvernements.
Tout ses exemples sont minutieusement organisés par les acteurices institutionnel·les, économiques et médiatiques. Iels veillent à ce que ce plan se déroule sans accroc pour que le football perde toute la saveur populaire de ses débuts.
Les premières questions que l’on se pose sont les suivantes : à partir de quelle période le football moderne a-t-il muté ? Pourquoi a-t-il cédé aux chantres du capitalisme ?
Les premières réponses se trouvent en Angleterre. En janvier 1990, le Rapport Taylor préconise la suppression des tribunes debout, les légendaires terrasses, suite au drame de Hillsborough qui fait 97 décès, le 15 avril 1989.
La ligue de football en Angleterre et la ligue écossaise de football introduisent des règlements obligeant les clubs participant à l’élite de leur système de championnat (les 2 premières divisions en Angleterre).
Dès la saison 1989-90, certains clubs comme le St Johnstone FC se plie à ses nouvelles règles bien avant le rapport final.
D’autres moyens sont renforcés. Au prétexte de la lutte contre le hooliganisme, et sans éliminer le problème, on modernise ou sécurise les stades pour accueillir un public issu de la classe moyenne. Les matchs se transforment en spectacle vivant, auquel on se rend en famille.
L’augmentation du prix des places engendre une inévitable gentrification des tribunes et des virages. La classe ouvrière et populaire est invisibilisée et repoussée dans les pubs.
Le racket sur le prix des billets se couple à la généralisation des places assises. En Hexagone, c’est à l’aube de la Coupe du Monde 98, que la loi Alliot-Marie de mars 1998 généralise les places assises et numérotées dans les stades
En ce qui nous concerne, à Lorient, le virage sud, où se mêlent les jeunes, ouvrier·ères et retraité·es, dernier vestige de l’ancien vélodrome, disparaît en 2009, entraînant avec lui une hausse significative des tarifs.
Les folles soirées sous le crachin breton ou sous un soleil plombant de cette tribune populaire s’effacent avec les derniers allers-retours d’Ewolo, du tandem Audel et
Bourhani, ou les arrêts d’Ulrich Le Pen un soir de match face à Valenciennes.
Sur la photo précédente, on peut également apercevoir d’immenses panneaux érigé autour de la tribune et portant les noms des sponsors de l’époque. Dans un premier temps, ils sont apparus sur les maillots de clubs hexagonaux à la fin des années 1970. Jérôme Latta, auteur de Ce que le football est devenu, résume très bien le phénomène : « Tout les espaces, matériels et immatériels deviennent des supports publicitaires. ». Pour maintenir le capitalisme à flot, on stylise des logos de sponsors qu’il faut afficher partout.
Dans les stades, dans les vestiaires ou sur les sportif·ves, en passant par les écrans publicitaires ou les tables et salles de presse, on placarde chaque mètre carré.
On peut y faire légitimement le rapprochement avec l’arrivée d’individus néolibéraux et des diffuseurs TV aux milieux des années 1980, tous avides du capitalisme qui se profile. À cette époque, des clubs hexagonaux se font racheter par Claude Bez, Jean-Luc Lagardère, Jean-Michel Aulas et bien d’autres, avec des résultats contrastés et pour certains des échecs cuisants. Jérôme Latta explique que « Tous ont en commun une politique qui se caractérise par des dépenses importantes pour constituer un effectif compétitif, quitte à lui donner des allures de cavalerie financière ».
Il amène également des groupes médiatiques à l’acquisition de plusieurs clubs, comme Canal+ avec le PSG (1991-2006) et M6 avec les Girondins de Bordeaux (1999-2018). Conjointement, le football moderne et les médias s’organisent.
Le joueur devient une vitrine qu’on expose à coups de millions et à travers le monde. Marionnette du système en place, il devient un produit du possédant. À tel point qu’en 1995, la jurisprudence de l’Arrêt Bosman fait exploser les transferts et le foot business.
Elle entraîne avec elle la marchandisation des joueurs, la norme du mercenariat et les multiples corruptions.
Dès lors, la lente agonie du football moderne va ne cesser de se poursuivre. À la recherche de toujours plus de profits, les capitalistes acquièrent clubs sur clubs. Des faillites dues à une gestion calamiteuse ont lieu à Leeds (en Angleterre) et à Parme (en Italie) dans les années 2000. La vision cynique, la mauvaise appréhension du côté sportif leur jouent des tours et conduit régulièrement au fiasco.
Dans l’Hexagone, les exemples sont nombreux. L’éphémère Evian Thonon Gaillard FC, détenu par un groupe industriel, disparaît en quelques années.
Le Grenoble Foot 38, le FC Sochaux, l’AS Nancy Lorraine, le CS Sedan Ardennes ou le FC Girondins de Bordeaux pour les plus connus intègrent cette longue liste.
Pourtant, ses premières alertes ne rebutent pas pour autant le capitalisme qui devient multi propriétaire de clubs pour certains ou détenu par des groupes industriels pour d’autres.
À Lorient, ville ouvrière et populaire, Bill Foley acquiert une part minoritaire mais significative (40 %) dans le FC Lorient en janvier 2023.
Déjà propriétaire de l’AFC Bournemouth et du FC Auckland, futur probable propriétaire de Moreirense FC au Portugal, actionnaire du Hibernian FC en Écosse, il ne cachait pas le 23 décembre 2022 à The Athletic, le département de journalisme sportif du New York Times, que « Le club uruguayen pourra nourrir le club belge, qui pourra nourrir le club français, qui pourra nourrir le club de Premier League. »
Son arrivée à Lorient est dénoncé par le principal groupe de supporteurices. Plusieurs banderoles sont déployées.
Ce cas est loin d’être isolé dans l’Hexagone. Le Red Star FC, ancien club du résistant Rino Della Negra, était détenu par le fond d’investissement 777 Partners jusqu’en 2024. Un groupe surendetté et ciblé par de multiples plaintes pour fraude. Quelques mois
auparavant, les supporteurices défilaient derrière le slogan « Célébrons la montée, combattons la multipropriété ».
En 2023, Strasbourg est acquis par le groupe BlueCo. Quelques années auparavant, en 2020, Troyes est acquis par le City Football Group. Cette dernière expérience reste mitigé pour un entraîneur d’équipe de jeunes de Troyes, interviewé par L’Equipe, le 21 mai 2023 : « On est la réserve de la réserve de Manchester City ».
S’il est difficile d’évoquer toutes les dérives modernes du football tant elles sont nombreuses, les dernières en date doivent nous alerter sur nos libertés individuelles et collectives. L’extension de mesures répressives aux abords des stades, la multiplication des interdictions de stades (IDS) avec obligation de pointer au commissariat les jours de matchs, la généralisation de la vidéo-surveillance, et les menaces de dissolution de groupes planent chaque jour.
Tout est fait pour qu’aucun millimètre n’échappe à la surveillance. Le football est un laboratoire privilégié d’expérimentation de la répression et du contrôle.
À contrario, l’extrême droite agite ses tentacules dans de nombreuses tribunes sans ne jamais être inquiétée et dans l’omerta la plus totale. Le dernier numéro de So Foot, « Comment l’extrême droite infiltre le foot », paru en mai 2025, en illustre les contours. (nous le recommandons au passage !)
Les dérives dont nous évoquons ne sont qu’une infime partie, tant elles englobent d’innombrables sujets : les milliers de travailleureuses sacrifié·es pour une Coupe du Monde climatisée, la LGBTQphobie et le racisme des tribunes aux terrains quel que ce soit le niveau, la répression des soutiens à la Palestine libre, l’exclusion des sportives voilées, l’aberration environnementale, et tant d’autres…
Si le tableau semble bien sombre, des initiatives et alternatives encore trop méconnues existent sur ces thèmes. Un autre football émancipateur, solidaire, populaire, antifasciste, antiraciste, et féministe est possible. Nous reviendrons dans une prochaine publication sur celleux qui se mettent en mouvement pour bouger les lignes. Notre contribution s’ajoute à celleux qui veulent un football sans domination !