CHRONIQUE SUR LA RÉSISTANCE EN PAYS LORIENTAIS

2# DES BALBUTIEMENTS ET INITIATIVES AUX PREMIERS NOYAUX ORGANISÉS DE RÉSISTANCE EN PAYS LORIENTAIS

Du 17 au 25 juin 1940, l’Allemagne nazie envahit la Bretagne sans trop de difficultés. À cette époque, une partie de la région qui vote à droite fait-elle confiance au régime de Vichy ? Toujours est-il que dès l’été 1940, des hommes et des femmes, la plupart anonymes, se mettent en mouvement face à l’occupant nazi et ses allié·es.

Au début de l’occupation, de petits groupes se forment pour d’abord aidé des prisonnier·ères ou des blessé·es à l’hôpital à s’évader en leur fournissant des vêtements civils, faux papiers et planques. Par la suite, des filières de passage en zone sud, avec des relais amis se mettent en place. Ces initiatives sont les premières d’une longue série.

Du côté anglais, on se mobilise également. Pour des raisons géographiques et militaires, les côtes bretonnes détiennent une place importante dans les activités du renseignement britannique. Il comprend d’embléel’utilité des bateaux et des équipages de pêcheurs bretons. Entre fin 1940 et début 1941, des liaisons sont établies entre Penzance et la Bretagne.

Quelques dizaines de breton·nes accueillent ou relayent des agents envoyés sur place au péril de leur vie. Au cours des premières années de l’occupation, la Bretagne paye un lourd tribut. 

Plus localement, parfois, des hommes seuls occupent des positions stratégiques dans le renseignement et notamment à la base sous-marine de Lorient.

Les premiers sabotages et attentats face à l’ennemi nazi naissent dès septembre 1940. Le 17 septembre, Marcel Brossier est le premier breton fusillé pour sabotage de « câbles téléphoniques ». Les coupures électriques, premiers types de sabotages, sont plus facilement réalisables, si bien que 18 sabotages ont lieu entre l’été 1940 et fin juin 1941 dans le Morbihan.

Les premiers attentats contre l’occupant sont perpétrés. Fin 1940, trois soldats nazis sont tués à Lorient. Des incendies s’allument un peu partout dans le département où un train nazi déraille à Quiberon le 10 janvier 1941. De nombreuses formes de résistance se mettent en place. 

À Lorient, des manifestations publiques se produisent au printemps 1941, à la suite d’initiatives locales.

Le 20 mai, une diffusion de tracts (surtout à l’arsenal) provoque une manifestation contre le collabo Pétain. 3 000 personnes défient les barrages collaborationnistes et nazis. 

La répression qui s’abat sur tous·tes celleux qui s’opposent publiquement à l’occupation va renforcer les actions directes. Rixes et bagarres avec des occupants éclatent fréquemment. Les premiers fusillés le sont à la suite de ces accrochages. Le 22 mai 1941, un jeune pêcheur de Plouhinec, Louis Larboulette, est fusillé à Vannes pour avoir porté un coup de baïonnette à un soldat nazi.

Les contours de la Résistance se dessinent autour du renseignement, d’initiatives locales et des premiers attentats ou sabotages. En Bretagne et à Lorient en ce qui nous concerne plus particulièrement, un point important va faire basculer la Résistance dans les premiers noyaux structurés. Un tournant majeur s’opère le lundi 20 octobre 1941 à Nantes.

Il est 7h45, lorsque qu’un commando composé de trois résistants communistes, Gilbert Brustlein, Marcel Bourdarias et Spartaco Guisco, abattent le chef de la Kommandantur nantaise, Karl Hotz.

Informé de l’attentat, Hitler exige des représailles immédiates et l’exécution de 100 à 150 otages. Le gouvernement collaborationniste de Vichy est mis à contribution pour fournir une liste d’otages. Il donne les noms de 27 responsables syndicaux et militants communistes qui sont fusillés.

Les nazis actent également l’exécution de 16 otages détenus à Nantes. Ce sont des anciens combattants, des jeunes membres de réseaux de résistance, des communistes ou d’anciens membres des Brigades Internationales. Ils sont fusillés par petits groupes sur le champ de tir du Bêle. Enfin, cinq autres résistants nantais emprisonnés au fort de Romainville près de Paris sont fusillés au Mont-Valérien. Nous ne les oublions pas !

La fusillade des 50 otages (en réalité 48) provoque un choc dans l’opinion. C’est un tournant très défavorable pour les vichystes et leurs soutiens.

Le Parti Communiste français est à cette époque le seul parti politique à s’être réorganiser clandestinement.

En Bretagne-Sud, si l’arrestation du responsable régional Alain Le Lay, met à mal le PC français en novembre 1941, la Résistance communiste connaît un certain essor en 1942. A la fin du mois de février 1942, plus d’une vingtaine de groupes d’action sont constitués. Ils ont pour responsables de jeunes lorientais, de syndicalistes chevronnés comme, et de républicains espagnols. En mars 1942, des triangles urbains sont lancés dans le pays lorientais. 

A l’origine de ses triangles, on retrouve, Albert Le Bail et Jean-Louis Primas, tous deux lanestériens. Ils sont épaulés par le responsable des communistes espagnols, Ramо́n Garrido Vidal. Ensemble, ils disposent d’une trentaine de membres actifs dans plusieurs triangles du pays lorientais.

Appelés « Troïka » par les nazis, les triangles possèdent une seconde structure pour les actions plus offensives. 

Des groupes d’action immédiate se constituent. Le pays lorientais devient le théâtre d’une véritable guérilla urbaine. Le harcèlement dure toute l’année 1942, mais il est particulièrement réussi entre mars-septembre 1942, et ce, malgré l’arrestation d’Albert Le Bail le 13 juillet 1942. De nombreux attentats obtiennent des résultats significatifs.

Couplés à la propagande opérée par la distribution de tracts, les triangles procèdent à des incendies, à des attentats contre des établissements fréquentés par les allemands, ou à des dynamitages de lignes électriques. Outre l’intérêt d’aguerrir les membres de l’organisation, ces actions prouvent aux habitantes l’existence d’une Résistance active. Le pays lorientais constitue en ce sens une excellente caisse de résonance régionale.

En avril 1942, en Finistère-sud, c’est à nouveau le principe des triangles qui est retenu par Jean-Louis Primas. Accompagnés par Eugène Le Bris et Georges Abalain, ils s’emparent de plusieurs dizaines de kilos d’explosifs à la firme Heller près de Quimperlé.

Comment un triangle fonctionne-t-il ? Le chef du triangle conduit l’action principale en bénéficiant de l’appui direct de l’un de ses camarades placé en position dite de « première protection ». La couverture, « deuxième protection », protège le dispositif principal en assurant le guet ou la défense armée lorsque cela est nécessaire.

Les autorités vichystes ainsi que les Allemands prennent toute la mesure du danger représenté par ce harcèlement urbain. Dans une ville clé du dispositif stratégique nazi, l’organisation communiste doit être neutralisée. En juillet 1942 puis en janvier 1943, les fondateurs de ces triangles sont arrêtés. Albert Le Bail décède en déportation et Primas est fusillé au Mont-Valérien le 17 septembre 1943 avec plus d’une quinzaine d’autres résistants communistes.

« Ils sont tombés en chantant, et en se tenant par la main »

CHRONIQUE SUR LA RÉSISTANCE EN PAYS LORIENTAIS

1# LA RETIRADA ESPAGNOLE

Le 26 janvier 1939, Barcelone, dernier bastion républicain, tombe aux mains des franquistes, aidés par les nazis allemands et les fascistes italiens. La chute de Barcelone entraîne avec elle un exode massif de centaines de milliers de combattant·es républicain·es et autant ou presque de civil·es vers la frontière française en janvier et février 1939. Prises sous le feu, les bombardements, et les mitraillages de l’aviation franquiste, iels transitent via les Pyrénées par les cols du Perthus et des Balistres principalement. Ce repli, qui est la quatrième vague de la « Retirada » (la retraite), est de loin la plus importante : 500 000 réfugié·es, dont 300 000 milicien·nes.

La frontière est ouverte pour les civil·es, mais les combattants et hommes en âge de porter une arme sont cantonnés aux portes de la France.

Sous la pression diplomatique internationale, elles s’ouvrent le 5 février 1939. Désarmés à leur arrivée en France, ils sont escortés vers des camps improvisés sur les bords du Roussillon : Argelès-sur-Mer, Barcarès, et Collioure. 

Parmi eux, on retrouve Ramón Garrido Vidal, militant du Parti Communiste espagnol (PCE), qui va jouer un rôle majeur dans les premiers noyaux organisés de la Résistance lorientaise.

Ramón est retenu prisonnier entre les camps de concentration d’Argelès-sur-Mer et de Barcarès.

Théorisés un avant, en 1938, par le gouvernement Daladier, les camps de concencentration sont construit quelques jours avant l’arrivée massive et sous-estimée des réfugié·es. Les conditions de vie sont précaires et âpres. Après plusieurs semaines de chaos, les tentes de fortunes plantées dans le sable laissent place aux baraquements construits par les réfugié·es.

Dans les camps, l’isolement, l’humiliation, la terreur du gouvernement Daladier et l’inaction forcée sont leur quotidien. Tout au long de l’année 1939, l’État français encourage les réfugié·es à se faire rapatrier. Harcelé·es par des tournées d’inspection ou des campagnes d’affichage, iels sont contraint·es à quatre choix : le retour en Espagne, un nouvel exil, l’embauche à l’extérieur ou l’engagement militaire.

À partir de mai 1939, le gouvernement Daladier, met en place les Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE). La plupart du temps, les « travailleurs » sont enrôlés de force, mis à disposition des entreprises travaillant pour la défense et en prévision de l’invasion nazie.

Malgré les difficultés, Ramón Garrido Vidal ne va pas oublier ses premiers engagements face au franquisme. Au début de l’année 1940, il devient responsable de plusieurs baraques de prisonniers puis membre de la Commission d’information du camp d’Argelès.

À la suite du lapinage de l’État français en juin 1940, le régime de Vichy qui est traditionaliste, xénophobe et antisémite, prend la succession. Il nomme à sa tête le collabo Philippe Pétain. Les CTE sont transformées en Groupe de Travailleurs Étrangers (GTE). Ce changement dans la loi permet aux collaborationnistes de contrôler et surveiller plus facilement les réfugiés espagnols. Des fiches individuelles sont établies avec la mention « S/zone occupée ». À cette époque, les réfugiés espagnols constituent la très grande majorité des effectifs.

En janvier 1941, la compagnie de Ramón est envoyée à Elne pour combattre les dégâts d’une inondation. Il est responsable d’une dizaine d’autres groupes du coin.

Le 30 juillet 1941, son groupe est livré aux nazis par les gendarmes français qui collaborent avec complaisance. Le transport en zone occupée est assuré par les forces de l’ordre françaises. Avant leur arrivée, les identités sont vérifiées par les services nazis.

Ramón se retrouve en Bretagne, à Brest, où il va travailler de force pour l’Organisation Todt. L’OT est chargée de construire cinq bases pour submersibles, de Brest à La Rochelle. Elle applique les ordres du nazi Karl Dönitz, commandant de la flotte sous-marine et futur successeur annoncé du IIIe Reich après la mort d’Hitler.

À Brest, de nombreux espagnols sont tués. Le militant communiste espagnol devient rapidement le responsable clandestin du camp. Il organise les premiers groupes armés espagnols de Brest et assure la diffusion de tracts dans la population ainsi que parmi les occupants (tracts en langue allemande).

C’est à partir de cette période que le périple breton de Ramón va prendre une nouvelle tournure.

En janvier 1942, la direction du PCE lui ordonne de quitter Brest pour rejoindre Lorient.

Il a pour mission de prendre la responsabilité du travail politique parmi les espagnols, structurer la Résistance locale, le tout en restant responsable de Brest. Ce qu’il fait après plusieurs allers-retours entre Brest et Lorient, sans papier et avec peu d’argent.

Son abnégation va payer et permettre aux premiers noyaux organisés de la Résistance lorientaise de naître. En lien avec Jean-Louis Primas, militant communiste et antifasciste, ancien combattant des brigades internationalistes, il se charge de la formation des groupes de combat et de sabotage du pays lorientais.

Ramón loge au 73, Rue Ratier avec Iñigo Portillo Pastheuros. Au côtés de Juan Sanchez Castillo, Maurice Theuillon, Georges Le Sant, Albert Le Bail, Jean-Louis Primas, Roque Carrion, et bien d’autres, il va combattre l’occupant nazi à Lorient !