Constitutionnalisation de l’IVG, est-ce une victoire historique ?

Le lundi 4 mars, le Parlement français, député·es et sénateurices réunis en congrès à Versailles, votaient l’inscription de «liberté garantie à la femme d’avoir
recours à une interruption volontaire de grossesse» dans la Constitution. Les stations de radio, chaînes de télévision ou presses écrites, parlaient d’une «journée historique». L’acte paraît plus symbolique, mais est-ce suffisant ? Pourquoi ne parle-t-on pas de droit ? Qu’en est-il des hommes transgenres ? Quelles difficultés rencontrent les patient·es ? De nombreuses questions se posent.
Les premières versions du projet de loi prévoyaient d’intégrer le droit à l’IVG. Elle visait à garantir «l’accès effectif et égal au droit à l’interruption volontaire de
grossesse». Des versions retoquées à plusieurs reprises par le Sénat, majoritaire à la droite extrême et à son président, Gérard Larcher. C’est donc la troisième
tentative de rédaction des sénateurices qui a été adopté : «la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse».
Pourquoi parler de droit est-il important ?
Si la Constitution parle de droit, alors l’État devra garantir le recours à l’avortement de façon égale sur son territoire, et dans les délais qui leur sont impartis. Il devra proposer un accès avec remboursement, pour assurer le principe d’équité d’accès au droit, et limiter les recours abusifs à la clause de conscience évoquée par les praticiens qui refusent de pratiquer l’IVG. De quoi filer des sueurs froides à la droite réactionnaire qui n’a cessé de casser le système de santé ces dernières années !
En parlant de liberté, qu’en est-il des hommes transgenres ?
En 2022, Aurore Bergé, alors députée macroniste, amende son projet de loi pour une constitutionnalisation de l’IVG. La formule «nul ne peut être privé du droit à
l’interruption volontaire de grossesse» devient «nulle femme ne peut être privée du droit à l’IVG».
Elle justifie l’utilisation du mot femme par la volonté d’éviter des avortements forcés. Est-il si compliqué de parler au sens large d’individu·es plutôt que d’exclure les hommes trans ? Si le texte garantit cette liberté aux femmes, une décision du Conseil d’État datant de décembre 2023 précise que la liberté de recourir à l’IVG doit s’étendre à «toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état-civil».
N’oublions pas que les conditions d’accès à l’IVG demeure fragile dans les faits ! Le recours à l’avortement, reste inégal selon le profil ou le niveau de vie sociale et
selon la disponibilité des structures près des lieux de résidence. Un rapport parlementaire de 2020 pointe des «infrastructures qui ne sont pas à la hauteur des besoins dans certains départements, ce qui engendre des inégalités territoriales qui sont difficilement acceptables». Elles ont pour conséquence d’allonger les délais de consultation et de rallonger le trajet des patientes.
Certain·es praticien·nes refusent toujours de pratiquer des IVG en invoquant la «clause de conscience». Le ministre de la Justice Eric Dupond Moretti déclare «La consécration de cette liberté n’emporte la remise en question d’aucune autre liberté, et notamment pas la liberté de conscience des médecins, des sages-femmes» et «cette liberté est totalement preservée» au sujet de la clause de conscience. E.D. Moretti défend donc ici la liberté d’empêcher ou de retarder l’IVG. En Italie dans les régions du sud, plus de 85 % de gynécologues refusent de pratiquer l’IVG en prétextant de cette clause de conscience, mettant en danger la vie de milliers de personnes.
Sur le territoire français, le délai qui s’écoule entre la première demande pour sa réalisation est en moyenne de 7,4 jours. Il «peut varier de trois à onze jours en moyenne selon les régions», soulignent les autrices du rapport parlementaire.
Ajoutons à cela la casse du système de santé et de l’hôpital public. Le Planning Familial, estime que, depuis quinze ans, de plus en plus de centres pratiquant
l’interruption volontaire de grossesse, ferment sur le territoire français. L’association a recensé la fermeture de 130 centres d’IVG ! Dans les zones rurales, le poids des déserts médicaux pèse également sur les avortements, et force les patient·es à se déplacer toujours plus loin.
La pénurie de pilules abortives est-elle toujours d’actualité ?
En 2023, plusieurs professionnelles de santé et de pharmaciennes avaient alerté sur la situation. L’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse consiste à prendre à la suite deux médicaments : le mifépristone et le misoprostol. Sur le territoire français, ce sont ces deux seuls médicaments qui sont autorisés pour procéder aux IVG. Nordic Pharma est le seul laboratoire à pouvoir fournir ses pilules, essentielles pour avorter. L’Agence Nationale de Sécurité du Médicaments et des produits de santé (ANSM) avait déjà alerté en janvier 2023 sur de telles difficultés. « La situation n’est pas
exceptionnelle », déclare l’ANSM avant d’ajouter que le médicament est « régulièrement sous tensions », c’est-à-dire qu’il est disponible en stock relativement limité.
Aujourd’hui, la situation est stable, mais l’équilibre est précaire. La pilule abortive pourrait de nouveau connaître des problèmes d’approvisionnement !
La désinformation et propagande d’extrême droite, menacent-t-elles le droit à l’avortement ?
Dans un rapport publié avec l’Institute for Strategic Dialogue, la fondation des Femmes s’inquiète de l’efficacité offerte par les réseaux sociaux pour dissuader les femmes d’avorter. Sept ans après l’adoption par le Parlement d’une loi sur le délit d’entrave numérique à l’IVG, la désinformation et propagande d’extrême droite sévit toujours. Sur les réseaux sociaux, des pages anti-avortement, présentent de manière trompeuse, comme neutres, officielles, voire pro-IVG, des «témoignages non vérifiables, graphiques, études bidons, photos et vidéos culpabilisantes», avec un seul objectif : dissuader les femmes.
Parmi les contenus douteux, de fausses affirmations sur les effets secondaires de l’IVG ou des «descriptions erronées de la procédure d’IVG», énumère le rapport. Pour amplifier les messages anti-IVG, on retrouve des comptes liés à des organisations de défense des personnes en situation de handicap, des associations anti-LGBTQIA+ et opposées à la gestation pour autrui, des figures de la complosphère, des militantes chrétiennes, royalistes et d’extrême droite.
Les chercheuses de l’ISD ont ainsi constaté que des pages et groupes non-officiels de soutien au parti Re-conquête avaient joué un rôle clé dans cette amplification !
Les militants de cette désinformation n’hésitent plus à cibler les locaux du Planning Familial.
De plus, la montée des discours et de politiques réactionnaires voire fascistes alimentent les discours anti-IVG, rien n’est gagné par avance, rien n’est inscrit dans le marbre. L’IVG pourra toujours être remis en cause, comme aux États-Unis par exemple.
Alors bien sûr, on pourrait voir que tout est noir. Mais des avancées ont eu lieues depuis plus de 50 ans pour la législation et la constitutionnalisation de l’IVG, grâce à l’implication de mouvements féministes, comme le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC), le Mouvement de Libération des Femmes (MLF), ou plus récemment avec le Collectif Avortement Europe, le Planning Familial, Nous Toutes, et les associations et collectif·ves LGBTQIA+.
Plus localement, à Lorient, des initiatives se mettent en place ou revivent. Dernièrement, le Planning Familial 56 en coopération avec Radio Balises, a enregistré deux premières émissions féministes, intitulée «Garcette». Enfin, le collectif Nous Toutes Lorient, après deux années de sommeil renaît de ses cendres. Deux membres du
collectif explique au Télégramme : «On souhaitait s’engager au niveau local, s’implanter dans une ville, pour une cause que l’on défend depuis des années : le
féminisme. Et les récents événements, les deux féminicides survenus à Lanester et Lorient, nous prouvent qu’il y a un vrai besoin local.»
Elles poursuivent : «L’association J’ai vu un documentaire, avec le planning familial, a récemment projeté le film «We are coming : chronique d’une révolution féministe». À la fin du débat, une personne a soulevé le fait qu’il n’y avait plus de collectif. On s’est rendu compte qu’il en manquait un pour faire de la sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles (VSS) à Lorient.»
Pour conclure, on vous rappelle que ce vendredi 8 mars, les associations, collectif·ives, syndicats, et partis politiques, se mobiliseront à Lorient pour la Journée internationale des droits des femmes et des minorités de genre. Au programme : deux manifestations et un village revendicatif sur la Place Polig Montjarret.
Soyons nombreux·ses !

Communiqué – contact

Lorient La Combative est un auto-média militant présent sur les réseaux sociaux, relais des luttes locales, espace d’analyse et de réflexion des dynamiques collectives que l’on peut retrouver dans le pays de Lorient. À travers notre média, nous voulons mettre en avant les combats pour un monde plus juste. Nous sommes contre toute forme d’oppression. Nous sommes profondément attaché·e·s aux luttes pour l’émancipation collective et individuelle de tous·tes par tous·tes. Pas de liberté réelle sans égalité réelle de tous·tes. Pas d’émancipation sans la disparition de la société capitaliste autoritaire de contrôle des corps et des esprits.
Nous pensons que le changement ne peut venir qu’en affirmant et en appuyant les luttes locales et initiatives communes ou individuelles qui prônent une société libre, progressiste et égalitaire. Tous·tes ensemble, nous devons créer et entretenir des réseaux d’information et de solidarité pour faire face à l’adversité.
Il est temps d’inventer de nouveaux modèles de luttes en dépassant nos clivages, il ne faut plus attendre de quelconques miettes venues d’un état et d’une société fascisante. Nous croyons en l’utilité de chacun·e·s tant que vous ne faites pas le jeu des réactionnaires et autres conservateurs. La diversité des tactiques est notre plus grande force. Cultivons-la !
Passons à l’offensive  dès maintenant pour obtenir ce qui nous est dû. Reprenons aux autoritaires le contrôle de nos existences et nos espaces de vie. Réapproprions nous la puissance de notre nombre. Nous voulons tout, et pour tout le monde.
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Enjeux et perspectives de la lutte antifasciste

Dans une période où les lois scélérates s’enchaînent, où les idées nauséabondes se propagent sur tout le territoire, une centaine de personnes se sont rassemblé·es, le samedi 17 février à Lorient, pour discuter des violences et de la rhétorique d’extrême droite, des outils/moyens disponibles pour lutter, s’organiser et se protéger.

Si l’événement a permis de mobiliser et de créer du lien entre les différentes organisations, associations, collectifs·ives, et individu·es, nous souhaitons revenir sur quelques points dans une démarche constructive afin d’analyser les enjeux et les perspectives données par cet événement.

Les sensibilités politiques représentées étaient variées, de la gauche partisane et institutionnelle (LFI, UDB, EELV) à des collectifs·ives féministe, queer ou antifasciste. C’est peut-être le point fort et le point faible aussi de ces tables rondes.

C’est une réussite, car plusieurs composantes de la gauche se sont rassemblées pour discuter et débattre de problèmes majeurs, permettant, on l’espère une prise de conscience chez certain·es. Cependant, il était difficile de dépasser le cadre de l’institutionnel et du réformisme, plusieurs intervenants étant issus de la social-démocratie. En effet, peu de remises en question d’un système trop bien établi, qui pourtant produit les conditions nécessaires à l’expansion du fascisme, le capitalisme. Là sont une partie des enjeux, nommer et définir nos adversaires collectivement pour ensuite définir une base théorique sur laquelle toutes les composantes de la «gauche» pourraient s’entendre. Par «gauche», on entend toute structure luttant pour plus de liberté et d’égalité réelle, luttant pour l’émancipation pour tous·tes, et par tous·tes.

On peut théoriser le fait que l’antifascisme est à deux vitesses, avec un antifascisme institutionnel, quasi inexistant dans la majorité des partis politiques, frileux d’un antifascisme plus combatif et offensif. Aux yeux des réformistes, seule la lutte par les moyens légaux serait légitime, et pour ces personnes, le combat antifasciste ne se mènerait que dans un cadre donné par les institutions et le système en place.

À contrario, des milieux autonomes, pour qui le dépassement des cadres institutionnels est l’essence même de l’autonomie politique. L’antifascisme ne peut se passer d’une dimension révolutionnaire, car ce sont ces mêmes institutions qui produisent du fascisme. Comment deux forces politiques aux idéaux divergents pourraient alors œuvrer dans un même but ? Là est tout l’intérêt de la désignation d’un ou d’ennemi·es communs, pour faire converger les différentes forces.

Les luttes sont plurielles, les acteurices de ces luttes aussi. Nous pensons que la diversité des tactiques a son intérêt dans la lutte antifasciste. Le fascisme est protéiforme, des groupes organisés aux bancs de l’assemblée, celui-ci s’exprime et agit de différentes manières mais toujours dans une même finalité, alors, pour mieux mieux le combattre, il faut l’attaquer sur tout les fronts. Au delà de la lutte légaliste, il est nécessaire de s’organiser collectivement pour dépasser l’impasse qu’est le réformisme, et reconnaître que d’autres modalités d’actions plus offensive aient leur place au sein de la lutte antifasciste et soient toutes autant légitimes. L’expansion fasciste doit-être combattue partout. Nous ne devons pas avoir peur d’employer des moyens plus combatifs, parce qu’en face nous avons un ennemi qui agit pour notre anéantissement commun, de tout ce qui ne rentre pas dans le cadre d’une société ultra réactionnaire et conservatrice. Si nous tolérons la non-tolérance, cette dernière se développe jusqu’à faire disparaître la tolérance. Nous ne pouvons pas courir ce risque. Si la non-tolérance représente un danger vital pour nos adelphes, des moyens pour lutter jugés jusqu’à présent illégitimes deviennent alors légitimes. La non-violence dogmatique est un privilège.

C’est pour ça qu’il est nécessaire d’ouvrir les ponts et de populariser la lutte et la culture antifasciste face à l’urgence. Des discours simplistes de rejet de l’autre aux justifications des inégalités et discriminations, l’éducation populaire est un moyen incontournable pour lutter contre l’extrême droite. L’apprentissage et la formation à l’esprit critique sont des fondations qui doivent permettre de développer la suite. L’enjeu réside aussi par le questionnement des dynamiques internes à nos groupes, à notre camp social, et que nous pouvons faire évoluer par des formations et des moyens de propager notre culture (auto-défense, projections, débats, éducation populaire etc).

Enfin, la lutte antifasciste doit être intimement liée à l’anticapitalisme, l’antiracisme, dans une logique d’intersectionnalité, et de lutte contre le patriarcat. Sur ce dernier point, Sébastien Bourdon, auteur de l’ouvrage «Une vie de lutte plutôt qu’une minute de silence», explique : «Dans l’imaginaire collectif, la figure de l’antifa est quasi systématiquement associé à celle d’un homme. S’il est indéniable que le milieu antifasciste reste assez largement masculin, la présence de femmes n’y est pas pour autant marginale». Depuis quelques années, des avancées ont lieu, avec la création de la Coordination Féministe Antifasciste en 2019. Une des fondatrices rappelle que «Nous voulons développer des leviers et outils pour contrer les obstacles que «nous rencontrons aux seins des luttes que nous menons. Il s’agit de comprendre et cibler les dynamiques patriarcales et racistes qui s’y jouent pour mieux les renverser et faire en sorte d’être toujours plus nombreuses à investir ces espaces. Il s’agit de mettre en lumière nos combats politiques pour les imposer et ainsi faire évoluer les lignes des luttes antifascistes afin que nos voix souvent invisibilisées, récupérées ou silenciées soient entendues». Un exemple à suivre sur le pays lorientais ?

L’antifascisme ne peut être vivant et représenter une alternative que s’il est pluriel, riche de la diversité de ses membres, de ses méthodes, de ses débats, et des alternatives qu’il porte. L’ennemi est commun, c’est le constat des partisan·es d’une société plus libre et égalitaire.

Pour en revenir sur le 17 février, il faut tout de même rappeler les points positifs de cet événement ! L’organisation s’est autogérée sans un véritable appui des institutions traditionnelles lorientaises, de nouveaux visages et des individu·es venu·es de nombreux départements ont fait le déplacement, et la présence du public a permis des interventions très souvent pertinentes. Cet événement suivait la venue de Vincent Edin pour la présentation de son ouvrage «En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite», et la conférence du CAM, «L’Extrême-droite : sa stratégie numérique». En moins de quatre semaines, ce sont trois événements qui se sont succédés, avec espérons le, une prise de conscience et l’envie de s’organiser chez les militant·es du pays lorientais.